Je pense qu’on est beaucoup à utiliser ce langage bébé avec notre chien, pourtant il y a très peu de recherche sur le sujet. Du coup dans cet épisode, je vais principalement m’appuyer sur la thèse de Sarah Jeannin que vous pouvez retrouver sur le site theses.fr. Evidemment, dans un épisode de 15 minutes je ne peux pas parler de tout en détails donc si ça vous intéresse, je vous conseille vivement d’aller lire sa thèse pour voir ses études complètes ainsi que sa biblio.
- ce n’est pas de l’anthropomorphisme ou un truc affreux de faire des parallèles entre les comportements des bébés/enfants et des chiens.
- le thème de cet épisode et toutes les recherches sur la communication parents-enfants et humain-chien sont très intéressantes que ça soit pour mieux comprendre comment on communique mais aussi comment communiquer de manière adaptée et bienveillante avec des petits êtres qui ne comprennent pas tout ce qu’on dit 😉
D’où ça vient ? langage adressé à l’enfant (LAD)
Le langage adressé à l’enfant ou motherese est caractérisé par une fréquence fondamentale élevée, une intonation montante et d’importantes modulations de fréquence, comparé au langage adressé à l’adulte.
L’objectif en adoptant cette forme de communication c’est de mieux capter l’attention, initier ou maintenir une interaction et ça marche (voir les études citées dans la thèse de Sarah). Typiquement si vous parlez à un bébé sur un ton monotone vous aurez peu de chance qu’il s’intéresse à vous et qu’il reste intéressé.
Du coup est-ce que c’est la même chez les chiens ?
Voici 2 exemples de langage adressé au chien, ne vous moquez pas, l’un est de moi :
Dans sa thèse, Sarah explique qu’il y a des similarités syntaxiques mises en avant dans la littérature telles que l’utilisation de questions et d’impératifs plus importante que l’emploi des phrases déclaratives, de nombreuses répétitions, des phrases courtes avec des verbes conjugués au présent.
Les discours adressés à l’enfant et au chien ont un contenu affectif plus important que le discours adressé à l’adulte, cependant dans le PDS il y a autant de niveaux d’affects et de directives alors que dans le discours adressé à l’enfant plus d’affects, probablement parce qu’on a des attentes un peu plus directives pour les chiens mais en vrai je n’en sais rien.
Sarah explique que ces similarités peuvent s’expliquer par le fait que :
- En parlant à un chien ou à un enfant, on est face à un récepteur dont l’attention est facilement distraite, autrement dit qui a l’attention d’une mouche
- l’émetteur souhaite exprimer de l’affection et de la bienveillance, parce que oui, on est une majorité à aimer nos chiens et j’espère que tout le monde aime ses enfants.
MAIS ces discours diffèrent par le fait que l’adulte qui s’adresse au nourrisson souhaite lui inculquer le langage verbal, d’où cette tendance à nommer les objets et à hyper-articuler, qu’on ne retrouve pas dans le PDS.
Cette thèse pose donc 3 questions :
1) les propriétaires adaptent-ils leur PDS en fonction de la situation d’interaction ?
2) les chiens manifestent-ils plus d’attention à l’écoute du PDS et de l’IDS, comparés à l’ADS?
3) les humains sont-ils capables de percevoir les signaux attentionnels et émotionnels émis par le chien en réponse au PDS ?
Conclusion de cette thèse :
A la première question de savoir si les propriétaires de chiens adaptent leur langage adressé au chien en fonction de la situation d’interaction, la réponse est oui. Ils modulent à la fois leurs caractéristiques verbales et nonverbales, en fonction du contexte de l’interaction. Les caractéristiques prosodiques sont plus exacerbées dans une situation émotionnelle positive comme les retrouvailles, précédée par une phase temporaire de séparation. Il a déjà été démontré des parallèles entre la situation étrange d’Ainsworth avec des enfants et des chiens notamment des comportements sociaux intensifiés au moment des retrouvailles du côté enfant/chien (recherche du regard, de proximité, d’attention etc.). L’originalité de l’étude de Sarah est de s’intéresser à la façon dont les propriétaires se comportent : des caractéristiques prosodiques accentuées, emploi de félicitations, de surnoms etc.
Exemple : https://www.youtube.com/watch?v=sNUfChlwQEg
Pour la deuxième problématique de savoir si les chiens manifestent plus d’attention à l’écoute du PDS et de l’IDS, comparés à l’ADS, la réponse est oui. Ils ont regardé les signaux émis par les chiens en réponse au PDS. Il se trouve que l’utilisation du PDS augmente l’attention de l’animal et donc favorise la communication mais permet aussi de consolider la relation affective en transmettant des messages émotionnels clairs.
Enfin, ils ont évalué si les humains sont capables de percevoir les signaux attentionnels et émotionnels émis par le chien en réponse au PDS. La réponse est non, les résultats indiquent que les participants humains sont incapables de distinguer un chien qui écoute du PDS d’un chien qui écoute de l’ADS à partir uniquement de signaux visuels. Les résultats montrent aussi que l’aptitude des humains à déceler les signaux d’attention dépend de l’expérience qu’ils ont avec les chiens et qu’il existe un effet de la relation sur l’interprétation des signaux émotionnels : les propriétaires et les personnes qui ont une simple connaissance du chien ont plus tendance, que les professionnels, à estimer que les chiens émettent des signaux émotionnels positifs. On en a déjà parlé dans l’épisode sur les signaux d’apaisement avec la difficulté des humains à évaluer l’état émotionnel de leur chien.
Qu’est-ce que ça implique dans la relation humain-chien ?
Comme vous l’aurez compris le langage adressé au chien augmente l’attention du chien donc n’hésitez pas à l’utiliser pour capter cette attention et la maintenir. Aussi, je pense qu’avec ce langage on est dans quelque chose qui se situe du côté des interactions positives, qui dit multiplication des interactions positives dit créer une relation positive donc c’est plutôt intéressant à utiliser si vous voulez une bonne relation avec votre chien. C’est aussi intéressant qu’il y ait des contextes où on va plus l’utiliser que d’autres, typiquement les moments de séparation brefs comme montré dans l’étude mais pour parler de moi je le vois bien quand je rentre de vacances ou de weekend et surtout quand je vais chercher mon chien chez le véto.
Bref, comme d’habitude on n’est pas parfait tout le temps et si vous voulez utiliser un ton neutre avec votre chien c’est votre choix. MAIS cette étude montre qu’on capte quand même mieux l’attention avec cette petite voix un peu gniaise. Pour les récalcitrants qui auraient un peu honte, n’hésitez pas à tester, franchement ça coûte rien, appeler votre chien d’un ton normal puis d’un ton un peu plus aigu, il y a des chances qu’il vous capte plus avec le deuxième ton.
Enfin, puisqu’on parle d’interactions avec une autre espèce, il est vraiment important d’observer comment votre chien réagit, de comprendre ses signaux et de s’ajuster.
Conclusion
Cet épisode était assez bref mais j’espère qu’il vous a appris des choses et vous a donné l’envie d’aller lire la thèse de Sarah.

Références
La thèse de Sarah : http://www.theses.fr/2016PA100172
L’entreprise de Sarah : https://animal-university.fr/ = organisme de formation au comportement animal et à la relation homme-animal.